Comprendre les syndromes associés au Diogène (syndrome de Noé, syllogomanie)
Ce que cache l'encombrement extrême
Vivre entouré d’un capharnaüm incessant, d’objets en quantité démesurée, parfois insalubres, peut choquer les proches ou les voisins. Mais derrière ces comportements souvent jugés avec incompréhension se cachent des troubles psychologiques complexes. Si le syndrome de Diogène est le plus connu du grand public, il existe d’autres formes d'accumulation compulsive moins connues mais tout aussi impactantes : syllogomanie, syndrome de Noé, accumulation pathologique ou encore formes mixtes.
Ces syndromes touchent toutes les tranches d’âge, tous les milieux sociaux, et restent souvent tabous, à cause de la honte ou de l'isolement. Comprendre leurs spécificités, leurs causes, et leur impact humain est une première étape vers une meilleure prise en charge.
Le syndrome de Diogène : un isolement total et un rejet des normes
Le syndrome de Diogène, identifié pour la première fois dans les années 1970, ne se résume pas à l'accumulation. Il se caractérise aussi par une négligence extrême de l'hygiène, un repli social sévère et un désintérêt pour l’image de soi. Les personnes atteintes vivent souvent dans des conditions de grande insalubrité, sans en ressentir de gêne particulière. Selon une étude publiée par l’INSEE en 2019, ce trouble concerne majoritairement des personnes âgées, vivant seules.
Ce syndrome n’est pas une maladie en soi, mais plutôt un ensemble de symptômes révélateurs d’une pathologie psychiatrique sous-jacente : démence, troubles cognitifs, dépression profonde ou psychose.
Les signes typiques :
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Accumulation massive d’objets inutiles ou de déchets
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Refus d’aide ou de contact social
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Indifférence à l’hygiène personnelle et domestique
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Isolement volontaire extrême
Contrairement à une idée reçue, le syndrome de Diogène ne touche pas uniquement les personnes précaires. Il existe des cas documentés dans des milieux aisés.
La syllogomanie : l'accumulation compulsive comme trouble central
La syllogomanie, aussi appelée trouble d’accumulation compulsive, est classée depuis 2013 comme un trouble distinct dans le DSM-5 (manuel diagnostique des troubles mentaux). Contrairement au syndrome de Diogène, les personnes atteintes de syllogomanie peuvent avoir une hygiène normale et conserver une vie sociale relativement fonctionnelle. Ce qui les distingue, c’est l’incapacité à jeter. Le simple fait de se séparer d’un objet — même cassé ou inutile — provoque une anxiété intense.
Comportements fréquents :
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Empilement d’objets dans toutes les pièces du logement
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Justifications rationnelles pour chaque objet gardé
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Refus de toute aide pour trier ou jeter
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Impact direct sur la sécurité du logement (risques d’incendie, d'effondrement, d'insalubrité)
La syllogomanie peut apparaître dès l’adolescence, mais se chronicise à l’âge adulte. Elle peut coexister avec d’autres troubles comme le trouble obsessionnel-compulsif (TOC), les troubles anxieux ou encore la dépression.
Le syndrome de Noé : l’accumulation d’animaux
Moins connu mais tout aussi alarmant, le syndrome de Noé est un trouble dans lequel une personne recueille un grand nombre d’animaux, bien au-delà de sa capacité à les nourrir, soigner ou loger correctement. Ce comportement part souvent d’une intention perçue comme positive — sauver ou protéger des animaux — mais aboutit à des situations de maltraitance involontaire.
Les signaux typiques :
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Présence de dizaines voire centaines d’animaux dans un logement
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Conditions sanitaires dégradées, tant pour les humains que pour les bêtes
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Refus des autorités sanitaires ou vétérinaires d’intervenir
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Détresse psychologique sous-jacente, souvent méconnue par la personne elle-même
Ce syndrome touche souvent des personnes isolées, majoritairement des femmes âgées, selon des rapports de l’Académie Nationale de Médecine. Comme pour la syllogomanie, le déni est souvent profond, rendant toute intervention extérieure très délicate.
L'accumulation sans pathologie : quand la frontière devient floue
Il existe des cas d’accumulation non pathologique. Des personnes peuvent entasser des objets, des vêtements, des papiers, sans que cela ne constitue un trouble mental. Il s’agit souvent d’habitudes, de manque de temps pour faire le tri, ou de valeurs affectives associées à certains objets.
Comment différencier le trouble d’une habitude ?
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Fonctionnement quotidien : si l’encombrement empêche de cuisiner, dormir ou se laver, le trouble est probable.
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Souffrance psychologique : si la personne vit mal sa situation mais se sent impuissante.
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Durée et intensité : plus le comportement est ancien et intense, plus il peut s’inscrire dans un trouble.
Les causes profondes : entre traumatismes, troubles cognitifs et environnement
Les origines des syndromes associés à l’accumulation sont multiples. On ne peut pas les réduire à une cause unique.
Facteurs psychologiques
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Traumatisme psychique (deuil, séparation, agression)
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Anxiété généralisée
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Troubles obsessionnels
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Trouble de la personnalité borderline ou schizoïde
Facteurs cognitifs
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Déficits liés à l’âge (troubles de la mémoire, confusion mentale)
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Démences, Alzheimer
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Troubles du développement (autisme, TDAH)
Facteurs sociaux
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Isolement prolongé
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Manque de soutien familial
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Pauvreté affective ou matérielle
L’INSEE souligne dans plusieurs rapports que les personnes isolées, notamment les seniors vivant seules, sont plus vulnérables à ces comportements.
Les conséquences humaines, sociales et sanitaires
L’accumulation pathologique ne reste pas confinée au logement. Elle a des conséquences multiples :
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Sur la santé physique : risques d’infections, de chutes, d’intoxications, d’accidents domestiques.
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Sur la santé mentale : honte, culpabilité, anxiété, repli sur soi.
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Sur l’environnement social : conflits de voisinage, signalements, expulsions.
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Sur les animaux : malnutrition, maladies, euthanasie obligatoire dans les cas extrêmes.
Des interventions forcées peuvent parfois traumatiser davantage la personne, notamment si elles sont faites sans tact ni accompagnement psychologique.
Pourquoi ces troubles restent invisibles ?
Le poids de la honte
Beaucoup de personnes touchées ne parlent pas de leur situation. Elles cachent leur logement, évitent les visites, ou mentent à leurs proches. La honte est un moteur puissant du silence.
Le déni
Dans la majorité des cas, les personnes ne reconnaissent pas qu’il y a un problème. L’accumulation a souvent une justification logique dans leur esprit.
Le manque de diagnostic
Peu de médecins généralistes sont formés à reconnaître ces troubles. La souffrance est invisible et rarement exprimée lors d’une consultation.
Que faire face à un proche concerné ?
Il est naturel de vouloir aider, mais il faut agir avec beaucoup de prudence. La confrontation directe, le tri forcé ou les remarques blessantes peuvent aggraver la situation.
Quelques conseils utiles :
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Ne pas juger
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Établir un lien de confiance avant toute action
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Proposer une aide concrète mais non invasive
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Orienter vers un professionnel de santé mentale
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Se faire accompagner par une assistante sociale si besoin
Existe-t-il des solutions thérapeutiques ?
Oui, mais elles doivent être personnalisées. Il n’existe pas de traitement universel.
Approches possibles :
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Thérapies cognitivo-comportementales (TCC) : efficaces sur les troubles liés à l’anxiété ou aux TOC
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Médication : en cas de dépression, schizophrénie ou démence
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Accompagnement social : aide au tri, soutien logistique, plan de réinsertion
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Suivi au long cours : car le risque de rechute est important
Marseille et les dispositifs d’accompagnement
Dans les grandes villes comme Marseille, plusieurs services sociaux, médicaux et associatifs travaillent sur ces problématiques. L’objectif est de permettre une prise en charge globale, respectueuse, et sans stigmatisation.
Parmi les dispositifs existants :
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Les CCAS (centres communaux d'action sociale)
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Les associations de soutien psychologique
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Les équipes médico-sociales à domicile
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Les procédures de signalement d'insalubrité, encadrées par la mairie et les ARS
Vers une approche plus humaine
L’accumulation compulsive, qu’elle prenne la forme du syndrome de Diogène, de Noé ou de la syllogomanie, est bien plus qu’un simple désordre. C’est un signal d’alerte profond, révélateur d’une souffrance psychique, d’un isolement, ou d’un trouble neuropsychiatrique.
Il est fondamental que les proches, les professionnels, et les institutions adoptent un regard empathique et informé, loin des jugements et des stéréotypes. En comprenant mieux ces syndromes associés, on ouvre la voie à une aide plus adaptée, plus humaine, et plus durable.
Sources :
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INSEE, Les personnes âgées vivant seules en France, étude 2019
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American Psychiatric Association, DSM-5, 2013
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Académie nationale de médecine, Rapport sur le syndrome de Noé, 2018
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Fédération Française de Psychiatrie, Troubles de l'accumulation, 2022