Entretien avec un psychologue : L’approche empathique au cœur de l’accompagnement des familles confrontées au syndrome de Diogène
Une réalité méconnue mais bien présente
Le syndrome de Diogène est souvent entouré de préjugés. Il est généralement associé à une personne âgée, vivant dans l’isolement et dans un logement envahi par les déchets ou les objets accumulés. Cette représentation réductrice cache la complexité de cette pathologie et son impact dévastateur non seulement sur la personne concernée mais aussi sur son entourage.
À Marseille comme ailleurs, les familles se retrouvent souvent démunies face à cette situation. Afin d’apporter un regard humain et professionnel sur le sujet, nous avons recueilli le témoignage anonyme d’un psychologue clinicien intervenant régulièrement dans des cas liés au syndrome de Diogène. À travers ses réponses, vous découvrirez des clés de compréhension et des conseils utiles si vous êtes confronté à cette réalité.
Comprendre l’origine du syndrome : entre détresse psychique et isolement
Le psychologue nous explique d’emblée qu’il est essentiel d’aborder ce trouble avec bienveillance.
Le syndrome de Diogène n’est pas une simple négligence ou un refus de l’hygiène. C’est l’expression d’une souffrance profonde, parfois ancienne, souvent multifactorielle.
Les causes peuvent être variées :
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Un traumatisme ancien ou récent (deuil, séparation, agression, licenciement…)
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Des troubles cognitifs (démence, Alzheimer, lésions cérébrales)
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Des pathologies psychiatriques comme la dépression sévère, les troubles obsessionnels compulsifs, ou la schizophrénie
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Un isolement social extrême qui coupe la personne de toute norme sociale ou regard extérieur
Selon les données de l’INSEE et de la DREES, l’isolement touche près de 13 % des personnes âgées en France, un facteur de risque important pour le développement de troubles comme le syndrome de Diogène.
Une approche empathique avant tout : sortir de la logique du jugement
Notre interlocuteur insiste sur un point fondamental : éviter tout jugement.
Ce qui peut paraître insupportable pour l'entourage – l’accumulation, la saleté, l’odeur – est souvent vécu différemment par la personne concernée. Elle ne voit pas le désordre comme problématique, ou bien elle en est consciente mais se sent submergée.
Dans ce contexte, une approche empathique consiste à :
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Créer un climat de sécurité psychologique : éviter les reproches, les confrontations
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Être dans l’écoute active, sans chercher à tout comprendre ou résoudre immédiatement
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Faire preuve de patience : la guérison ou même la simple amélioration est souvent lente
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Respecter le rythme de la personne, en travaillant progressivement sur ses résistances
L’objectif n’est pas de forcer un grand nettoyage, mais d’initier un processus de reconnexion à soi, aux autres, à l’environnement.
Les familles face au syndrome de Diogène : culpabilité, impuissance, fatigue
Le psychologue reconnaît que les familles sont souvent épuisées émotionnellement. Elles oscillent entre la honte, la colère, la peur et la tristesse.
J’ai vu des enfants d’accumulateurs vivre une double peine : d’un côté, la peur que leur parent ne soit plus en sécurité dans son logement, de l’autre, la culpabilité de ne pas pouvoir l’aider ou de devoir alerter les services sociaux.
Il n’est pas rare que les proches :
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Ne sachent pas comment aborder le sujet
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Soient rejetés par la personne concernée
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Soient mal compris par les professionnels s’ils n’adoptent pas eux-mêmes une posture empathique
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Subissent une détérioration de la relation familiale
Le rôle du psychologue : accompagnement discret mais crucial
Contrairement à une idée reçue, le psychologue ne vient pas imposer un protocole de soin. Il agit souvent dans l’ombre, en soutien aux familles et aux équipes médico-sociales.
J’interviens parfois directement auprès de la personne, mais souvent aussi auprès de ses enfants, voisins, aidants. Mon rôle est de donner des repères, de désamorcer les tensions et d’expliquer ce qui se joue psychologiquement.
Ses missions peuvent inclure :
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Évaluer le niveau de conscience de la personne sur sa situation
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Participer à une stratégie d’intervention douce, par paliers
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Soutenir les proches dans une démarche de distanciation émotionnelle
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Travailler avec des services d’aide à domicile, assistantes sociales ou médecins
Conseils pratiques pour les familles : que faire et ne pas faire
Voici les recommandations les plus importantes que le psychologue partage avec les familles confrontées à cette problématique :
1. Ne pas agir seul
Même avec les meilleures intentions, il est risqué d’intervenir sans soutien. Une tentative de ménage forcé peut générer :
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Un refus total de contact
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Une rechute aggravée par la suite
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Une détérioration de la relation familiale
Il est conseillé de solliciter un accompagnement médico-social (CCAS, médecins généralistes, psychiatres, services d’hygiène municipaux, etc.).
2. Privilégier l’alliance plutôt que la confrontation
Le lien est plus important que le résultat. Essayez d’instaurer des moments de parole et de confiance :
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Laissez la personne exprimer son attachement à ses objets
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Cherchez à comprendre ce qu’ils symbolisent pour elle
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Introduisez l’idée d’un petit changement, plutôt qu’une révolution brutale
3. Documentez les situations
Il peut être utile de :
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Prendre des photos discrètes si la situation est critique, en cas d’appel à des autorités compétentes
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Noter les dates, types de comportements, évolutions
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Garder trace des échanges avec les médecins ou intervenants
Cela facilitera une éventuelle demande d’accompagnement médico-social ou juridique (habilitation familiale, tutelle, etc.).
4. Se faire accompagner soi-même
Être proche d’une personne souffrant du syndrome de Diogène peut affecter profondément la santé mentale :
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Ne pas hésiter à consulter un psychologue pour soi
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Participer à des groupes de parole (certaines associations de familles en organisent)
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S’autoriser à poser des limites émotionnelles, même si c’est difficile
Marseille : un contexte local à prendre en compte
Dans une grande ville comme Marseille, certaines spécificités doivent être soulignées :
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Densité urbaine et voisinage immédiat : les signalements viennent parfois des voisins ou des bailleurs sociaux
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Disparités sociales : le syndrome de Diogène n’est pas réservé aux quartiers défavorisés, mais les inégalités de prise en charge y sont plus criantes
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Ressources disponibles : le Centre Communal d’Action Sociale (CCAS), les psychiatres du secteur public, ou des associations spécialisées comme l’UNAFAM peuvent être des relais efficaces
Sortir de l’isolement : un travail de fond
Le psychologue nous rappelle que le plus grand défi est souvent de briser l’isolement social.
Réinscrire la personne dans une dynamique de lien humain – même très progressive – est le seul levier durable. Il ne s’agit pas que de jeter des objets, mais de restaurer une dignité.
Cela peut passer par :
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Une visite hebdomadaire d’un intervenant social
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Un lien renoué avec un proche
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La participation à un atelier collectif (si la personne l’accepte)
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L’introduction d’un animal de compagnie dans certains cas
Un combat humain, pas une bataille contre la saleté
Le syndrome de Diogène n’est pas une affaire de ménage, ni de paresse. C’est une détresse humaine complexe qui demande du temps, de l’écoute et un accompagnement professionnel coordonné. Pour les familles, l’enjeu est de ne pas porter seules ce fardeau et de s’autoriser à chercher de l’aide.
Adopter une approche empathique, c’est reconnaître que derrière l’encombrement se cache souvent une blessure invisible.